
En cette ère technologique, nos vies sont fortement influencées par l’intelligence artificielle. Elle est de plus en plus présente dans presque toutes les sphères de notre vie, de la planification de nos trajets quotidiens à la détection précoce des maladies (Topol, 2019). Parallèlement, dans le monde artistique, nous sommes témoins de l’incursion de l’IA, modifiant la façon dont nous créons et consommons l’art (McCosker et Wilken, 2020).
Au cœur de ces dialogues sur l’IA et l’art, se pose la question de la beauté. Qu’est-ce que la beauté ? Comment la perçoit-on ? Et comment la crée-t-on ? Plus précisément, lorsque nous utilisons l’IA dans les processus de création, comment cela influence-t-il notre perception et notre création de la beauté ? La beauté résiderait-elle dans la perfection technologique, ou, selon un courant de pensée japonais ancien, dans l’imperfection ?
Le concept du ‘Wabi Sabi’ (ne pas confondre avec le wasabi), faisant la célébration de l’imparfait, ses racines dans la philosophie Zen (Koren, 1994), offre un intéressant contrecoup à notre obsession de la perfection. Selon l’esthétique du Wabi Sabi, la beauté réside dans l’imperfection, la simplicité et l’authenticité. Peut-on appliquer ce même principe à l’IA et à la création de contenu ?
Là où la création humaine est souvent imparfaite et asymétrique, l’IA, dans sa quête de perfection, peut facilement nier la valeur de l’imperfection. Cependant, l’asymétrie, l’authenticité et même les erreurs peuvent transformer une œuvre ordinaire en quelque chose de mémorable. Des chercheurs, ont souligné comment les musiciens et les artistes de tous genres utilisent consciemment l’asymétrie et l’erreur pour donner de la profondeur à leurs créations.
Lorsqu’il s’agit de la musique, pensez à des musiciens comme Miles Davis ou Thelonious Monk qui ont su utiliser le silence de manière efficace, apportant une intensité et une anticipation qui n’auraient pas pu être atteintes par une cacophonie constante de notes. Des chercheurs comme David Huron (2006) ont parlé de l’importance de l’incertitude et de la surprise en musique, deux éléments intimement liés à l’imperfection.
L’exemple de AIVA, l’IA qui compose de la musique classique, est particulièrement frappant. Elle peut composer des morceaux parfaitement harmonieux avec des algorithmes sophistiqués, mais elle semble manquer une certaine âme, une certaine émotion. Ce n’est qu’en travaillant avec son créateur humain, en combinant les sensibilités et les émotions humaines à sa capacité de génération algorithmique, que l’IA peut créer quelque chose qui résonne vraiment avec les auditeurs.
Plutôt que de s’efforcer d’imiter la création humaine, l’IA doit être utilisée comme un moyen de la soutenir et de l’élargir. Comme l’a dit Andy Warhol « l’art est ce que tu peux t’en tirer ».
Des œuvres générées par l’IA comme celles de The Painting Fool, une IA qui a «appris» à peindre en étudiant une grande quantité de peintures et de styles artistiques différents, peuvent être belles et intrigantes en elles-mêmes. Mais sont-elles authentiques ? Transmettent-elles une véritable émotion ? Ou sont-elles simplement le produit d’une technologie avancée ?

Il est donc impératif pour les créateurs qui utilisent l’IA comme outil de création de contenue et pour ceux qui cherchent à l’améliorer, de se rappeler de l’importance et de la valeur de l’imperfection humaine. L’idée n’est pas de retrancher l’humain, mais de l’inclure plus profondément dans le processus de création en tirant parti de l’IA.
En guidant l’intelligence artificielle avec notre sensibilité et nos émotions, nous pouvons l’aider à créer un contenu qui est à la fois techniquement impressionnant et émotionnellement engageant. Cela implique d’entraîner l’IA avec des données qui reflètent la gamme complète d’émotions et d’expériences humaines, pas seulement celles qui sont considérées comme esthétiquement « parfaites ».
En fin de compte, la collaboration homme-machine promet de pousser les limites de la créativité en intégrant l’authenticité de l’émotion humaine et la précision de l’IA. L’IA a besoin de l’imperfection humaine pour accomplir ce qu’aucune machine ne pourrait faire seule : toucher le cœur du public. En adoptant le Wabi Sabi, nous pouvons créer un équilibre entre ces deux entités, pour donner naissance à une création de contenu authentique, originale et véritablement belle.
Jean-Philippe Paviot pour BackBoneStudio.